Le Mordant

Quand je pense au passé et me remémore tous les bons pigeons que j'ai possédé, je ne peux que conclure qu'ils étaient presque tous des pigeons qui avaient une volonté extrêmement forte. Leur force intérieure ainsi que leur intelligence était à la base de tous leurs succès extraordinaires. Si l'on ajoute auxdeux caractéristiques fondatrices, que sont l'intelligence et le caractère, une bonne dose des autres importantes caractéristiques qualitatives, alors un bon pigeon devient un meilleur pigeon et dans des cas exceptionnels, un super pigeon devient un pigeon de classe mondiale. Je vais vous donner un exemple de l'importance d'une forte volonté chez nos pigeons de course.

À la fin des années soixante-dix, lorsque j'ai commencé à engager le résultat de mes croisements dans les concours pour les essayer, je me suis vite rendu compte qu'ils présentaient encore quelques lacunes. Si, en raison de la météo, le lâcher devait être reporté pour une nuit alors les performances de toute l'équipe baissaient sensiblement. Si ces mêmes pigeons devaient voler durant ,ce qu'on pourrait appeler, un concours catastrophe c'était toujours mes meilleurs pigeons qui se perdaient, et cela me causait toujours de la peine. Même si c'étaient de très bons pigeons, je pensais qu'il leur manquait encore quelque chose, mais quoi. A cette époque, je rendais régulièrement visite à mon ami allemand Bernard Achtermann d' Essen. Piet de Weerd l'avait aidé à obtenir ses pigeons de fondation au début des années soixante-dix et, après cela, il l' a régulièrement aidé dans la formation des accouplements de ses pigeons reproducteurs. Les appariements m'intéressaient beaucoup parce qu'en les observant régulièrement , j'ai eu un bon aperçu de la manière de  sélectionner et de construire une souche par la personne que je considérais comme l'expert colombophile le plus éminent de son temps. Au début, je ne pensais pas que ces pigeons sortaient vraiment de l'ordinaire.

 

Cette perception changea lors d'un dimanche après-midi couvert et morne de 1979. Bernard Achtermann avait engagé sa "Mannschaft" dans une course sur Aars. Cette ville se trouve dans le nord du Danemark à environ 700 km de Essen. Les pigeons devaient venir du nord par  un vent de sud-ouest et de la pluie tout au long du trajet, pas vraiment une sinécure. A cette époque, je n'osais pas engager les pigeons de mon propre élevage dans des courses de plus de 400 km. Prenant le temps et la distance en considération j'ai rapidement fait parlé mon esprit: «Bernard, il est impossible aujourd'hui pour les pigeons de le faire".

Bernard Achtermann réussi à changer mon point de vue et me convaincre de rester pour regarder les pigeons rentrer. À ma grande surprise, ils sont tombés tout mouillés, sous la pluie et un ciel gris foncé. J'ai pu manipuler ces oiseaux. Ils avaient donné tout ce qu'ils avaient en eux, ils étaient trempés et léger comme une plume et ils se débattaient de façon terrible. A cette époque je détestais absolument ce type de pigeon. Ils se débattaient dans vos mains comme s'ils étaient possédés. Ils avaient volé jusqu'à ce que leur réserves soient vides, et l'énergie qu'il leur restait ils l'utilisaient pour tenter de sortir de mes mains. Ces pigeons avaient une caractéristique consanguine : la volonté.

 

C'était une conclusion que je ne pouvais pas manquer, quelque chose que je devais me fixer comme objectif. D'une façon ou d'une autre je devais reproduire cela dans ma colonie. Ceci est vite devenu clair à mes yeux. Il fallait que je sois en mesure de constater des pigeons en tête et même toute une série y compris dans des situations météorologiques moins propices, ce qui pendant des années fût quelque chose qui manquait cruellement à mes pigeons. Bernard Achtermann m'a montré dans les moindres détails ce qu'était la volonté.

 

Si tu juges un de ces pigeons en main, me dit-il, alors il va tordre la tête dans tous les sens. En outre, il va, avec toute sa force, déplacer ses épaules en haut et en bas. C'est ce que nous appelons un «wringer». Un tel pigeon déteste absolument avoir son bec tiré. Il va tirer son bec dans un mouvement de va et vient se tordant pour le retirer avec toute sa puissance de vos doigts. Le plus fanatiquement ils font cela, plus nous pouvons être certains que nous avons un pigeon avec une très forte volonté.

Jusqu'à ce dimanche après-midi couvert et pluvieux, je ne voulais pas trop avoir chez moi ce type de pigeons qui se débattaient L'ajustement de mes critères de sélection sur cette caractéristique ne m'a conduit à aucune déception. Elle a rendu nécessaire de changer la manière dont je prenais en main  mes pigeons. Les beaux types qui pouvaient gagner des prix lors des expositions en hiver furent bientôt échangés contre d'autres types. Je me souviens encore très bien quand mon 'Goede Jaarling" a été invité à jouer un autre rôle que celui de voyageur. Le juge d'exposition qui le tenait dans ses mains a vite dit à son assistant de lui donner 5 x 18 points pour la participation comme points à inscrire sur la carte de jugement.

 

Comme voyageurs ils sont aussi devenus des pigeons complètement différents. Ils avaient plus de caractère et étaient plus difficiles à gérer en équipe. Ce n'est plus le type de pigeon qui tombait directement dans le colombier pour gagner. C'était des pigeons qui volaient un tour ou deux autour du colombier quand ils arrivaient à la maison pour voir si la voie était libre.Ils avaient aussi des avantages. Ils étaient plus difficiles à perdre dans les courses par mauvais temps et sont devenus des reproducteurs de meilleure qualité. En ajoutant ce caractère comme une partie nécessaire de ma norme de sélection  mes pigeons sont devenus plus complets.

Essayons d'expliquer davantage ce que nous entendons par le terme «wringer». Cette pugnacité intérieure où la lutte est ancrée en eux dès leur naissance Dans le nid, ils sont déjà difficiles à baguer. Ils vous font savoir qu'ils n'aiment pas. Même alors le fait de les tenir par le bec n'est pas apprécié.

Les vieux pigeons, dotés d'une volonté suffisante, tirent leur bec d'entre vos doigts, avec toutes leurs forces.
Si l'on persiste et que l'on souhaite observer l'oeil ou que l'on veut regarder à l'intérieur du bec pour juger de l'état de santé de leur gorge et des voies respiratoires, alors ils commencent rapidement et sauvagement à se tortiller avec leurs épaules et les ailes.

Peu importe le coût à payer ils ne veulent pas être tenus. Ils veulent être libres. Si vous essayez de les retenir, il en coûtera quelques plumes. À mon avis, ces contorsions énergiques sont une caractéristique spécifique des pur-sang. Ces «wringers» ont tendance à avoir de véritables personnalités, et ce sont de fortes individualités. Ils ont une force intérieure et extérieure. Ils ne sont pas des suiveurs, mais des solitaires. Ils vont sur leur propre chemin et font de même lors d'un retour de concours. Ce type de pigeon vole facilement avec des minutes d'avance sur les autres. Lorsque la course devient difficile, ils continuent à se battre pour revenir chez eux. Ils n'abandonnent jamais. Mais, il y a un mais!

Si ce type de pigeon n'est pas doté de la vitalité et la ténacité nécessaires, sur des courses plus dures au-delà de 600 km, ils vont se détruire eux-même. Leur esprit est plus fort que leur corps.
Je ne pense pas qu'il soit judicieux d'engager des pigeons surchargés de cette électricité en continu sur  des courses plus loin que 700 km.
Par nature, ils sont trop agités et dépensent trop d'énergie dans le panier; par conséquent ils puisent un peu trop sur leurs réserves avant d'être libérés.

Quand j'ai rencontré Willem de Bruijn au cours d'une session de photographies du maestro Peter van Raamsdonk i
l m'a demandé ce que je pensais de ses pigeons. J'ai répondu qu'il avait de très bons pigeons mais qu'ils étaient limités et qu'ils auraient des problèmes avec des concours difficiles de plus de 600 km.

En réalité c'était la question que lui, en tant que spécialiste des concours de fond d'un jour, avait demandé sans vraiment en attendre de réponse défavorable. Sur le moment  il mal pris ma réponse directe et ma remarque mis fin à notre conversation.

Plusieurs années ont passé et puis, un dimanche soir en Juillet1994 Willem m'a appelé: "je dois obtenir certains de vos pigeons. Hier nous avons joués Ruffec, une course vraiment difficile, et presque tous les bons se sont perdus et les autres n'ont pas bien volés. Maintenant je comprends ce que vous avez voulu dire quand vous avez dit qu'ils étaient limités. "

Les pigeons de Willem avait du essayer de contourner la pluie. Ils se sont écartés de plusieurs kilomètres ce qui a augmenté la distance du retour à leur colombier. Le fort vent de face avait rendu impossible le retour à Reeuwijk sans dommage pour eux-mêmes.
Si vous voulez que les pigeons participent à ce type de course alors vous devez ajouter la volonté à la puissance physique dans vos méthodes de sélection sinon ils ne gagneront jamais mais au contraire périront à la tâche.

Piet de Weerd a écrit plus d'une fois que cette caractéristique de « wringer » était un signe de super vitalité.
Dans ce cas, je ne suis pas en total accord avec sa théorie. Comme vous l'avez lu plus tôt, Mère Nature régit l'héritage de ces deux caractéristiques d'une manière différente.

Si vous accouplez les « wringers » entre eux vous obtenez des « wringers ». La vitalité est héritée assez d'une manière entièrement différente. Cependant, nous devons essayer de garder la qualité de ces deux caractéristiques aussi haut que possible chez les pigeons que l'on élève. L'un sans l'autre pourra encore aboutir à l'obtention de prix de tête mais si nous pouvons combiner les deux les possibilités de nos pigeons dans les concours deviennent légions.

Si nous sommes
chanceux et que dans le même temps nous pouvons donner une volonté de fer à nos pigeons et ajouter un peu de vitesse et un brin d'intelligence, alors nous aurons offert au Monde un nouveau super crack.

Piet de Weerd avait une préférence pour les pigeons qui avaient un excédent de mordant.
Dans ses livres, il parlait beaucoup du "De Zwarteband" d'Oscar Devriendt, du «De Klaren» de Valère De Smet-Matthijs, du "Het Zotteke» de Huyskens van Riels et de plusieurs autres de ces pigeons mondialement célèbres. Ils se sont tous distingués comme voyageurs en raison de leur volonté énorme. La même chose existe chez d'autres animaux qui sont élevés de façon explicite pour la compétition, tels que les lévriers et les chevaux de course. La caractéristique « wringer » est d'une grande importance pour remporter des concours, mais elle est d'une plus grande importance encore dans la transmission héréditaire.

 

Depuis la leçon que j'ai apprise chez Bernard Achtermann, j'ai mis cette caractéristique  en numéro un sur ma liste de préférences pour la sélection; ainsi l'élevage de pigeons de qualité pour la course et la reproduction est devenu beaucoup plus facile. C'est pourquoi je pense que cette caractéristique est le fondement de toutes les autres caractéristiques et qualités!

Steven van Breemen